Addictions : 28 % des 18-30 ans cumulent au moins deux dépendances en 2024, révèle l’OMS – un bond de 6 points en un an. Tandis que les playlists “sobre curious” cartonnent sur Spotify, la réalité est plus rugueuse : l’hôpital Bichat à Paris a admis 1 430 jeunes pour sevrage multi-produits en 2023, du jamais-vu. Pression sociale, algorithmes dopaminergiques, inflation anxiogène… la polyaddiction s’impose comme le mal du siècle.
Polysubstances : pourquoi les jeunes cumulent-ils de plus en plus ?
D’un côté, la soirée commence au gin-tonic. De l’autre, elle finit sur un rail de kétamine, smartphone vissé à la main. Le cocktail est tristement banal. Selon l’enquête ESCAPAD 2024 (OFDT), 74 % des élèves de terminale ont consommé de l’alcool le mois dernier, 29 % du cannabis, 17 % un psychostimulant.
Trois convergences expliquent cette hausse :
- Hyper-connectivité permanente (scroll infini, paris sportifs, gaming compulsif).
- Marché gris du CBD et des poppers, facile d’accès via TikTok.
- Normalisation culturelle : séries comme Euphoria ou The Idol banalisent la transgression.
L’universitaire Jean-François Tassin (INSERM) résume : « Le cerveau adolescent recherche la nouveauté, la société lui sert un buffet à volonté. »
Ce que disent les chiffres 2024 sur l’alcool, le cannabis et les écrans
Alcool : entre binge et inflation
• 44 % des 18-25 ans déclarent un épisode de binge drinking hebdomadaire (Santé Publique France, mars 2024).
• Prix moyen d’une pinte à Paris : 7,60 € ; en 2010, c’était 5,10 €. Résultat : migration vers l’alcool “maison”, souvent plus fort.
Cannabis : la THC race
Le taux moyen de THC dans les résines saisies atteint 36 % (douanes 2023), contre 12 % en 2012. Plus puissant, plus addictif. Les consultations « Cannabis Responsable » de l’AP-HP ont quadruplé leurs créneaux sur Doctolib.
Addictions comportementales : l’emprise des pixels
L’OMS classe depuis 2022 le “gaming disorder” comme trouble officiel. En France, 7 % des 15-24 ans passent plus de dix heures quotidiennes devant un écran de loisir (Credoc, 2024). Les paris en ligne explosent : +31 % de mises sur le football depuis janvier 2023 (ANJ).
Accroche courte : les drogues ne font plus cavalier seul, elles se like et se partagent.
Traitements innovants et prévention : du psychédélique encadré aux applis anti-craving
Microdoses et thérapies assistées
Depuis 2023, l’université de Montréal teste la psilocybine en complément d’une TCC pour l’alcoolisme sévère ; 58 % des patients restent abstinents à six mois, contre 35 % avec placebo. Prudence, mais espoir.
Applis et IA bienveillante
• “MyCannStop”, appli française lancée en février 2024, envoie des alertes vocales personnalisées quand le craving monte.
• Chatbots d’auto-soutien (Woebot, Tess) guident 12 000 francophones chaque jour, selon MindStrong.
Terrains de prévention : écoles, stades et TikTok
- Le ministère de l’Éducation nationale introduit à la rentrée 2024 un module “dopamine et réseaux” dès la 4ᵉ.
- Sur Twitch, le stream “Sobriety Squad” animé par l’ex-footballeur Adil Rami réunit 25 000 viewers le dimanche soir.
- Les Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) ouvrent 15 antennes mobiles en zones rurales, réponse directe aux 45 km moyens séparant un village de son centre le plus proche.
Mon carnet de terrain : quand Lucas, 26 ans, raconte sa bataille
J’ai rencontré Lucas place de la République. Sweats fluos, mains qui tremblotent ; il sortait d’un week-end “techno-vitamines”. Alcool, MDMA, crypto-trading nocturne. « J’étais sûr de gérer », souffle-t-il. Deux crises de panique plus tard, il franchit la porte d’un CSAPA.
Trois éléments l’ont aidé :
- Une infirmière qui lui explique la courbe de dopamine (neuro-plasticité, récompense).
- Un groupe de parole “Jeunes et écrans” animé par l’Association Addict’Aide.
- La boxe : canaliser la tension, ritualiser le répit.
Aujourd’hui, il cumule 147 jours de sobriété. Il garde l’appli MyCannStop, “comme un filet de sécurité”. Son témoignage met des visages sur les stats.
Comment savoir si l’on est polyaddict ?
La question revient sans cesse dans vos messages. Voici trois signaux d’alerte, validés par la Haute Autorité de Santé :
- Vous changez de substance ou d’activité pour atteindre le même niveau d’excitation.
- Vos obligations (cours, travail, couple) passent au second plan, régulièrement.
- Sevrage brutal : irritabilité, insomnie, cauchemars, douleurs diffuses.
Si au moins deux critères résonnent, consultez rapidement un médecin ou un CSAPA. Le diagnostic précoce augmente de 40 % les chances de rémission à un an (HAS, 2023).
D’un côté la liberté, de l’autre la tyrannie des likes : quelle société voulons-nous ?
Nous célébrons la liberté de choix, du verre de rouge aux stories 3 h du matin. Mais la ligne est ténue. Chaque notification est une promesse, chaque shooter un raccourci. Addiction rime alors avec contradiction : plaisir instantané, détresse chronique.
Certains militent pour la légalisation régulée du cannabis, arguant qu’elle sortirait les jeunes des dealers. D’autres craignent l’effet passerelle. La Suisse teste depuis août 2023 la vente sous contrôle en pharmacie à Bâle. Premier bilan prévu pour décembre 2024 ; je suivrai cela de près.
En toile de fond : santé mentale, sommeil, nutrition – autant de sujets connexes qui méritent un regard global. Après tout, prévenir la dépendance, c’est aussi promouvoir la satisfaction dans la vie ordinaire : une randonnée sans réseau, un dîner sans notifications.
Ces chiffres bousculent, ces visages touchent. Reste la question essentielle : que faisons-nous, individuellement et collectivement, de notre soif d’évasion ? Continuez la conversation, partagez vos expériences, et restons vigilants : la prochaine bonne habitude pourrait bien être la vôtre.

