Neurosciences : en 2024, 32 000 articles scientifiques ont été indexés par PubMed, soit +18 % en un an. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 1 personne sur 3 sera touchée par un trouble neurologique au cours de sa vie. La course à la compréhension du cerveau n’a donc jamais été aussi urgente. Focus sur les avancées qui redessinent nos connaissances et nos pratiques cliniques.
Cartographie cérébrale : du pixel au neurone
Depuis l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle de 1992, la résolution a été multipliée par 40. En février 2024, l’équipe de l’Allen Institute (Seattle) a publié un atlas 3D à 1 µm, couvrant 140 régions humaines. Chaque voxel équivaut à la taille d’un globule rouge. Résultat : 92 nouveaux circuits ont été détectés, dont un réseau fronto-pariétal impliqué dans la prise de décision rapide.
D’un côté, cette incroyable finesse facilite la détection précoce de la maladie d’Alzheimer (biomarqueurs dès 45 ans). Mais de l’autre, elle soulève une question éthique : comment protéger l’anonymat d’empreintes cérébrales aussi uniques qu’une signature ADN ?
Qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?
La plasticité désigne l’aptitude du système nerveux à remodeler ses connexions. Elle se mesure par la densité synaptique, le renouvellement dendritique ou la variation du volume hippocampique. La revue Nature rapporte en 2023 que l’apprentissage musical augmente de 7 % la connectivité frontale en huit semaines seulement. Autrement dit, l’architecture cérébrale reste flexible bien au-delà de l’enfance.
Comment la stimulation cérébrale profonde révolutionne les traitements ?
La stimulation cérébrale profonde (SCP) consiste à implanter une électrode dans une zone cible. À Paris, l’AP-HP a traité en 2023 son 1 500ᵉ patient par SCP. Taux de rémission partielle de la dépression : 55 %. Les études multicentriques harmonisent désormais trois paramètres clés :
- fréquence (130 Hz standard, 80 Hz pour les troubles obsessionnels)
- amplitude (entre 2 et 4 V selon la distance cible/électrode)
- largeur d’impulsion (60 à 90 µs)
Cette technique, inspirée des travaux pionniers de Benabid (Grenoble, 1987), s’étend à la maladie de Tourette et à l’obésité morbide. Toutefois, un essai mené par l’Université de Toronto note en 2024 une augmentation de 9 % des impulsions maniaques post-opératoires. Prudence donc : la ligne entre bénéfice neurologique et risque psychiatrique reste ténue.
Pourquoi l’optogénétique séduit-elle la R&D ?
L’optogénétique associe gènes sensibles à la lumière et faisceaux lasers. Avantage principal : une précision à la milliseconde et au neurone unique. Le MIT a montré en novembre 2023 que l’activation de 250 neurones GABAergiques dans l’amygdale suffit à effacer une mémoire de peur chez la souris. Le marché des dispositifs optogénétiques est estimé à 1,4 milliard $ en 2026. Un lien évident avec d’autres sujets phares de notre site, comme la miniaturisation des dispositifs biomédicaux ou l’essor de la bio-robotique.
Intelligence artificielle et synapses virtuelles
L’IA n’est plus seulement un outil d’analyse. Elle devient un modèle de référence. DeepMind a dévoilé en mars 2024 « NeuroZero », un réseau de 6 milliards de paramètres capable de prédire l’activité du cortex visuel primaire avec 91 % de précision. Cette prouesse dépasse les 84 % atteints par la version précédente.
Quelques bénéfices concrets :
- Diagnostic automatisé d’AVC en moins de 2 minutes (contre 12 auparavant).
- Identification de biomarqueurs de la sclérose en plaques avec 87 % de sensibilité.
- Conception de nouvelles molécules pro-cognitives via le criblage in silico (partenariat Pfizer – Google Cloud).
Pourtant, le neuroscientifique Michel Desmurget rappelle que ces systèmes « imitent » sans comprendre. Les révélations de l’INA sur les premières expérimentations de cybernétique dans les années 1970 nous mettent en garde : fascination ne vaut pas compréhension.
Limites éthiques et perspectives à court terme
La commercialisation des implants de type Neuralink (autorisation FDA obtenue en 2023) laisse entrevoir une interface cerveau-machine grand public d’ici cinq ans. Scénario exaltant pour la rééducation motrice. Mais le Centre Hastings alerte sur la possible dérive vers la neuro-publicité personnalisée. Les GAFAM investissent déjà 4 milliards $ annuels en neuro-marketing (chiffre IDC 2024).
Points de vigilance pour les 24 mois à venir :
- Harmonisation réglementaire entre l’UE et les États-Unis.
- Création de « biobanques cérébrales » anonymisées.
- Développement d’algorithmes frugaux pour réduire l’empreinte carbone des supercalculateurs (thématique que nous avons déjà abordée à propos du climat et de l’énergie).
Si le traité d’Oviedo protège l’intégrité mentale, la jurisprudence reste éparse. Le philosophe Bernard Stiegler avertissait déjà en 2015 : toute technique modifie la noosphère. Le projet Human Brain (2013-2023) a confirmé cette tension entre partage open-source et souveraineté des données.
En tant que reporter, j’ai assisté à la première démonstration publique d’une neuroprothèse motrice à Lausanne, en mai 2024. Voir un patient tétraplégique saisir un verre en direct rappelle la puissance – et la fragilité – de ces innovations. Si vous souhaitez explorer plus avant ces enjeux, du sommeil paradoxal aux liens entre microbiote et cerveau, je vous invite à poursuivre cette conversation dans nos prochaines analyses.

